@Qaspard Delanuit
Le libéralisme n’a pas combattu une doctrine politique meilleure (selon moi), il s’est débarrassé de l’ordre ancien, mais au nom d’une noble cause (plus de libertés conférées à l’individu), il a usé de moyens trompeurs et contre-productifs (en gros la table rase). En d’autres termes (et je sais que j’ai beau jeu de dire ceci avec le recul qui est le nôtre) : au lieu d’œuvrer à desserrer dans une juste proportion les liens du tout pour la réalisation des parties, l’Occident moderne a anéanti le tout. Toute l’histoire subséquente a consisté, en vain, à reconstituer un semblant de communauté qui ne nous fasse pas perdre totalement notre dignité d’êtres humains.
Quant aux rapports subis plus que consentis, il est très difficile de n’en toucher que quelques mots. Je dirais que l’homme générique ne pouvait pas se concevoir autrefois tel qu’il se conçoit aujourd’hui (truisme, je sais). De nos jours, chacun se sait inconsciemment sous la protection d’un État entièrement à son service, une sorte d’esclave virtuel (à développer). Les témoignages parvenus du monde d’avant font apparaître ceci : fut un temps où les membres d’une communauté se savaient, et ne pouvaient se sentir que conditionnés par cette communauté qui leur préexistait. C’est une chose qui relève de la révolution copernicienne, et que nous avons bien du mal à nous figurer car nous pouvons comparer. Eux n’avaient pas le choix, il eût été incongru à une certaine époque de tout référer à la quête de droits individuels de plus en plus nombreux.
Admettons que le mot libéralisme ne soit pas encore tout à fait le mot adéquat. En tout cas le bordel actuel est son œuvre, sa créature échappée.
@Qaspard Delanuit
Je vais essayer d’être plus clair en quelques mots seulement (désolé, j’ai peu de temps devant moi) :
Je ne dis pas que les libéraux n’aiment pas les rapports humains, bien entendu, seulement ils se bercent d’une douce illusion, celle de ramener chacun de ces rapports à un échange de consentements. Ceci s’est amorcé par le haut, au niveau du pouvoir, du régime politique, pour percoler jusqu’à la plus petite communauté qu’est la famille (l’enfant-roi). Tout ceci toujours au nom de l’individu, en s’appuyant sur une logique "libératrice", atomisante. Et ceci n’a, comme vous le dites, que peu de rapport avec la liberté réelle. L’afflux de social, la boulimie de réunionite ne sont que les manifestations, l’amplification des impasses du consentement... franchement, Gaspard, vous savez aussi bien que moi que ces réunions ne mènent à rien, que c’est de la poudre aux yeux, de la bureaucratie, pas vrai ? Et peut-on assimiler le règne de la com’ à de la politique ?
Quant au retour de manivelle, l’ordre moral en matière de revendications et de susceptibilités, j’y vois, là aussi, le résultat d’une logique individualiste, seulement c’est le contrecoup inévitable en régime de masse : les individus atomisés et égaux, pour peser sur la place publique, doivent faire nombre et, en fonction de la récrimination du moment, formeront des groupes aussi bruyants et nombreux que possible afin de défendre leurs droits. La mort de la nation n’aura pas conduit directement au communautarisme, elle aura d’abord mené à l’atomisation (ou plutôt elle aura cédé à ses coups de boutoir), puis à la reconstitution de communautés de substitutions, à visée utilitaire.
Erratum : remplacer habeas corpus par Magna Carta, of course !
@Qaspard Delanuit
J’ai dit :
"Le libéralisme, par essence, est un mouvement de pensée qui ne reconnaît rien de ce qui n’est pas librement consenti."
Dit sous une autre forme : plutôt que de complot, je parlerais d’un changement de paradigme qui, celui-ci, me paraît avoir été bel et bien voulu... pas au nom du mal, au d’un bien sincère (mais une fois de plus bancal avec le recul qui est le nôtre). L’Occident est passé d’un monde régi autoritairement d’en haut par le Trône et l’Autel à un monde spontanément nivelé par les bienfaits du marché. On est passé de la bigoterie comme vice à l’égoïsme comme vertu, et j’irais même jusqu’à penser que l’élan vers la société liquide a été initié à ce moment-là. L’humanité 2.0 qui est en préparation et qui consiste bel et bien à anéantir tout déterminisme naturel (plus de sexe, la perspective d’une vie éternelle, etc.) n’aurait jamais pu intervenir ni avant, ni ailleurs.
Le libéralisme ne se conçoit pas, à mes yeux, sans la concomitance de la montée en puissance de la bourgeoisie et la haine du christianisme.
PS : l’exemple de l’habeas corpus est intéressant, mais c’était un combat pour davantage de mouvement à l’intérieur d’un cadre, et non la manifestation d’une volonté d’abattre le cadre. Mais peut-être peut-on y trouver l’une des racines du libéralisme en germe, tout à fait d’accord.
@maQiavel
"...lorsque vous parlez de « condition politique »,
comment cette condition se manifeste –t-elle concrètement ? Je ne demande
pas ce qu’en pense tel ou tel philosophe mais de que vous constatez vous-même de
cette condition politique telle qu’elle se présente à vous ? Est –elle vraiment
différente de celle de la Grèce antique ?"
=> C’est très simple. La condition politique se manifeste dans le fait que chaque être humain autour du globe éprouve un besoin irrépressible de côtoyer, de dialoguer et de commercer avec ses semblables. C’est la manifestation d’un déterminisme. Qu’on le veuille ou non, nous sommes des êtres politiques, des êtres de familles, de tribus, de villages, de villes, de régions, de nations. Nous ne sommes rien sans tout ça ; à nous de les organiser au mieux. C’est-à-dire au plus juste. Et la justice est donc la vertu politique par excellence, ce en vue d’un ordre mieux établi.
Et je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il en a toujours été ainsi et qu’il en sera toujours ainsi. C’est notre modernité, une fois de plus, qui prétend être en rupture avec tout ceci. Elle l’est dans la mesure où elle fonde les liens sociaux sur la prévalence de l’individu. Mais elle se raconte des histoires car c’est une logique tout à fait bancale.
@Qaspard Delanuit
Pas de "plan machiavélique" non, ça n’est pas ma façon de voir les choses non plus. Mais une utopie libérale qui fait tout pour coller au réel. Et qui est en fin de course.
@Qaspard Delanuit
"Ou bien voulez-vous dire que les libéraux nient que certaines choses puissent ne pas être contractuelles entre les hommes ?"
C’est plutôt sous cet angle, en effet, que se place ma remarque. La condition politique est de l’ordre du déterminisme. Le libéralisme, par essence, est un mouvement de pensée qui ne reconnaît rien de ce qui n’est pas librement consenti. Ce qui laisse d’ailleurs présager de son étendue aujourd’hui...
J’ai eu un gros accrochage avec les lecteurs de Causeur récemment, sous mon récent article sur la République. Tous se prétendaient libéraux, la plupart s’en remettaient à la DDH et au fameux précepte "la liberté des uns...". À la fin je leur ai demandé de me situer la naissance du libéralisme et ça n’était pas clair. Alors je leur ai demandé de m’indiquer quels auteurs étaient pour eux emblématiques de ce mouvement, et à part Locke et Milton Friedman, que dalle. Ceci apporte de l’eau à votre moulin : il semblerait en effet que j’aie eu affaire à des gens dont le caractère et l’absence de réflexion trouvaient leur pitance dans l’image qu’ils se font du libéralisme.
@Qaspard Delanuit
Selon votre "intime conviction", je le conçois.
Mais je ne vois pas comment vous pourriez prouver une chose pareille.
@Éric Guéguen
... j’ai oublié de dire que je ne réduis pas non plus la politique à l’existence de l’État. Ce qui placerait l’Athènes classique en dehors de la politique. Un comble !
@Qaspard Delanuit
Le libéralisme désire en faire une simple béquille de réajustement, rien de plus. Les délires de fin de l’histoire se sont appuyés sur l’idée de fin de la politique. Les deux étaient synonymes. Bien sûr, au sein du libéralisme, certains sont partisans d’un État minimal, d’autres d’un État redistributeur, tous néanmoins voient dans la condition politique un état choisi et un mal nécessaire... en attendant que l’on trouve mieux. Il me semble que le marché a nourri le fantasme d’un dépassement de la politique. Beaucoup en sont aujourd’hui revenus !
Quant au régime représentatif, je maintiens ce que je disais dans mes vidéos : la finalité étant que de simples gestionnaires s’assurent que la machine tourne en roue libre, et que chacun des engrenages se limite pour ce faire à n’être que des... producteurs-consommateurs. La carotte plutôt que le fouet.
@herve_hum
Agréablement surpris que nos échanges s’apaisent. Je vous en remercie :
http://cerclearistote.com/parution-de-louvrage-deric-gueguen-le-miroir-des-peuples/
@maQiavel
En fin de compte, la pré-modernité a transformé la philosophie politique en science politique en réduisant la condition politique à la lutte politique. Et c’est sur ce terreau qu’a fleuri le libéralisme dont l’objet est, purement et simplement, de se passer de politique.
Donc dans un premier temps on enferme la politique dans les rapports de force, ensuite en laisse entendre que les rapports de force, c’est caca, et que le Marché permettra de dissoudre ces rapports de force à coups de main invisible.
Vous, Mach’, vous remontez d’un cran. Moi de deux.
@maQiavel
Ça va vous intéresser :
http://www.franceculture.fr/emissions/series/marx-attaque
@maQiavel
"A partir d’un
certain nombre d’individu les interactions sociales changent et la politique
aussi change."
=> Ça n’est pas la politique qui change avec l’échelle, c’est le régime politique.
Est-ce que la démographie galopante issue de la révolution néolithique mettra jamais un terme à l’amitié ?
@maQiavel
"Politique" vient de polis, non de polemos.
@maQiavel
Les institutions, c’est une chose. Mais il faut aussi des modèles, des semblables auxquels s’identifier. Ça a toujours été le cas et ça le sera toujours. Pourquoi ? Parce que l’homme a besoin de se faire une idée du bon, du bien, du juste, du beau avant d’éventuellement les poursuivre. Une "idée" en vue d’une "fin".
@maQiavel
Mouais... Dans ce cas vous avez un sacré mérite de déployer tant d’énergie pour si peu.
Bon, vous savez également qu’en ce qui me concerne, je ne limite pas la politique aux seuls rapports de force. La politique, c’est la nature humaine, l’"insociable sociabilité" ET la prise de conscience de l’interdépendance.
L’amitié, c’est aussi de la politique, en tant que modalité des rapports humains spontanés, donc naturels...
@herve_hum
Pouvez-vous me dire quel est le droit correspondant au devoir de nourrir les enfants dont on a la charge ? Le droit d’avoir des enfants ? Cela ne vous semble pas un peu incongru comme formulation ? C’est pour cette raison que je repense le cadre de tout ça, i.e. le cadre naturel. Voilà tout l’intérêt de la chose.
Je n’ai pas lu vos articles, en effet. Alors voilà ce qu’on fait : je les lis et vous, en retour, vous lisez mon bouquin, d’accord ? Ainsi vous verrez si j’ai réellement peur que ce que vous dites du droit et du devoir (j’appelle ça "dyade" dans mon livre) remette en question ma façon d’exposer le problème.
Bonne journée.
@maQiavel
Mais pourquoi, vous, Mach’, voulez-vous vous battre pour changer des choses dont vous êtes convaincu de l’éternité et de l’immuabilité ? Pour de simples soucis de... "forme" ?
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