• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV Mobile


Commentaire de Éric Guéguen

sur Conférence de Francis Cousin à Nancy : "A partir de Marx..."


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Éric Guéguen Éric Guéguen 5 septembre 2014 13:02

Alors voilà ce que j’en déduis :
 
Tout d’abord, c’est pour moi l’une des dix meilleures vidéos qu’il m’ait été donné d’entendre, franchement. Cousin est plus clair que d’habitude, il a un peu abandonné sa phraséologie debordienne et, surtout, voilà enfin un penseur qui n’est pas in-di-vi-du-a-liste, donc résolument anti-Moderne. Le Retour aux Sources a au moins une valeur sûre dans ses rayons.

 

Mais, mais... je ne suis pas d’accord pour autant avec tout ce qu’il dit. Il omet certaines choses qui ont leur importance. En fait, j’ai l’impression qu’il va trop loin, là où Michéa ne va au contraire pas assez loin. Un débat entre les deux serait passionnant, et aboutirait peut-être à ce que je défends modestement dans mon coin.

 

En gros, voilà les critiques que je lui adresserais :

 

1. Communautés de l’être, sociétés de l’avoir :

 

Je suis fan du titre. Je pense en effet que le social est une escroquerie et qu’il faut renvoyer le mot "société" à ce qu’il a toujours été : un article de science économique. Seule la référence au commun, et non au social, peut nous aider à sortir de l’ornière. Sur l’être et l’avoir, je ne m’appesantis pas non plus, c’est une évidence à mes yeux. En revanche, à aucun moment il ne dit que sa vision des choses n’est valable qu’au sein de petites communautés autarciques, qui allaient de soi au temps où la planète ne comportait que 50 ou 100 000 individus de l’espèce. Un retour à cet âge d’or devrait-il s’accompagner d’une hécatombe ? C’est une omission fondamentale qui rend son discours un peu bancal sorti de toute la littérature passionnante qu’il nous sert.

 

2. La religion primitive :

 

Je suis en train de lire un livre en sciences humaines que je conseille à tout le monde : Par-delà nature et culture (http://www.amazon.fr/Par-del%C3%A0-nature-culture-Philippe-Descola/dp/2070772632/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1409913448&sr=8-1&keywords=par-del%C3%A0+nature+et+culture) de Philippe Descola. Je m’y suis intéressé en pensant qu’il aller remettre en question mes analyses sur l’inné et l’acquis : ouf que non ! smiley Mais il a le grand mérite de relativiser la scission entre l’humain et le non-humain au moyen de l’artifice culturel (la cible de Descola n’est pas tant Aristote que la Modernité) au moyen de l’étude des communautés primitives. Alors, certes, il n’y avait pas à proprement parler de "religion" à cette époque et dans ces ères culturelles, mais un véritable culte empreint de superstitions en tous genres était néanmoins fondamental à leurs yeux (Cousin en parle un peu : par exemple, faire la cour à un gibier avant de le tuer pour ne pas se mettre à dos l’entité spirituelle protectrice de cet animal). J’entends par là que Cousin semble faire comme si finalement les communautés primitives ne comportaient aucune contrainte. Or, ces "contraintes" sont précisément ce qui, entre autres choses, aura poussé l’humanité - et aux avant-postes l’Occident - à "progresser", ce qui implique humainement ET des gains, ET des pertes (celles-ci négligées par les Modernes).

 

3. L’Antiquité grecque :

 

Mon dada pour finir. Francis Cousin se livre à un panégyrique d’Héraclite, d’Empédocle et de Parménide (que beaucoup de choses distinguent au passage). Selon lui, à partir de Socrate, l’humanité se fourvoie et tombe dans le scientisme, la partition délétère de la connaissance du "tout du monde". Je ne partage pas du tout ce point de vue. Platon et Aristote se maintiennent dans ce "tout du monde", le premier dans le monde des idées, le second dans un inédit savoir encyclopédique qui ne rompt en aucune manière les liens organiques entre physique, métaphysique, éthique, logique, rhétorique, politique, etc.

D’autre part, Cousin, dans une vision anarchiste du monde et de l’histoire, veut en finir avec l’objet "politique" comme avec l’objet "économique". Mais on n’en finit jamais avec la politique, ni avec l’économique, tout au plus peut-on réenchâsser la seconde dans la première (vieux débat entre nous...). Je veux dire qu’à partir du moment où les communautés sont extra-familiales (cf. 1), il faut prendre en compte la nécessité politique. Quant à l’économie, elle n’est forcément plus seulement substantive, elle devient quelque peu "formelle" (cf. Polanyi), capitaliste, tout en devant être assujettie à des normes communautaires et impersonnelles strictes qu’une éthique saine est seule à même d’imposer, et qu’une politique idoine doit veiller à faire respecter.

 

En définitive, les communautés étant vouées à s’agrandir, seule la politique peut contenir le facteur de désunion typiquement économique.


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès