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Alain Cotta & Yvan Blot : la démocratie directe existe-t-elle ?

Le site Enquête & Débat a organisé le 3 mars un débat entre Alain Cotta (économiste, essayiste) et Yvan Blot (ancien député, haut fonctionnaire) sur le thème : la démocratie directe existe-t-elle ? C’est l’occasion pour eux de voir dans quels pays celle-ci est parvenue à se développer, sous quelles conditions elle peut émerger, quelles peuvent être ses limites, et pourquoi elle est inexistante en France.

A l’heure où le monde arabe se réveille, les deux débatteurs nous rappellent en tout cas sans détour ce constat implacable : si nous bénéficions en France, à la différence des régimes qui tombent actuellement, des droits fondamentaux et d’élections non truquées, nous vivons nous aussi (et plus que jamais) en oligarchie. C’est qu’en réalité, la démocratie directe est le seul mode sous lequel puisse se concevoir authentiquement la démocratie. Jean-Jacques Rousseau la théorisait dès 1762 dans le Contrat social, en parlant non pas de démocratie directe, mais de République. Où est donc la "chose publique" lorsque les citoyens n’ont de prise sur elle que le temps des élections ? Le concept de "démocratie représentative" n’est-il pas un piège sémantique, quand le mandat dont jouissent nos dirigeants n’est en rien impératif, et que ces derniers ne sont donc pas tenus de représenter l’opinion du peuple pendant le temps de leur mandat ?

 

Puisque j’ai cité Rousseau, il vaut sans doute mieux lui laisser le dernier mot. Sa légitimité historique et son génie n’ont sans doute pas d’égal pour nous réveiller, et nous appeler à prendre enfin ce pouvoir qui nous revient... et ce sans attendre gentiment qu’on vide notre porte-monnaie, de telle sorte que nous soyons forcés à faire la révolution. Il est d’ailleurs curieux que l’on s’évertue en France à manifester régulièrement pour des causes très définies, en réagissant par à-coups aux réformes de nos dirigeants, sans jamais penser à organiser la manifestation la plus consensuelle et la plus évidente qui soit, et qui éviterait toutes les autres : celle pour le retour effectif du pouvoir au peuple. Alain Cotta et Yvan Blot tentent d’ailleurs d’apporter des éléments de réponse à ce paradoxe.

 

Mais, la parole à Rousseau ai-je dit.

____________________

 

« Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des Citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’Etat est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au Conseil ? ils nomment des Députés et restent chez eux. A force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie et des représentants pour la vendre.

 

C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave ; il est inconnu dans la Cité. Dans un Etat vraiment libre les Citoyens font tout avec leurs bras et rien avec de l’argent : Loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils paieraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.

 

Mieux l’Etat est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées dans l’esprit des Citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais Gouvernement nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre ; parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’Etat, que m’importe ? On doit compter que l’Etat est perdu.

 

L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des États, les conquêtes, l’abus du Gouvernement ont fait imaginer la voie des Députés ou Représentants du peuple dans les assemblées de la Nation. C’est ce qu’en certains pays on ose appeler le Tiers-Etat. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et au second rang, l’intérêt public n’est qu’au troisième.

 

La Souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le Peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moyens de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. »

 

Jean-Jacques Rousseau ; le Contrat social, III:XV (1762)

Tags : Démocratie Citoyenneté




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7 réactions à cet article    


  • 3 votes
    Erca 10 mars 2011 14:22

    Que les individus formant une nation ne soient pas infaillibles, c’est bien évident. En revanche, le Peuple, en tant qu’entité politique générée par le regroupement en assemblée dont est censée jaillir la raison, est infaillible lorsque les conditions du débat sont irréprochables (libre accès à l’information, à l’enseignement, liberté d’expression, etc.). J’ai bien conscience de me situer ici sur le plan conceptuel, et donc forcément dans une dimension quelque peu idéale, mais cette théorisation est indispensable pour savoir vers quel horizon nous devons progresser.


    L’argument de la technicité des problèmes contemporains me semble fallacieux. Si des techniciens détiennent les clés de la compréhension de certains sujets, que ne vont-ils les livrer au peuple, qui tranchera lui-même entre les différents arguments étayés ? D’autre part, qui délimitera les sujets techniques des sujets non techniques ? Avec cet argument, ne pourrait-on pas empêcher le peuple français de voter sur un sujet tel que les retraites ? Enfin, votre argument contient lui-même son contre-argument : si les techniciens eux-mêmes ne sont pas d’accord entre eux, qui se permettra de trancher le débat qu’ils entretiennent ? Quelle serait la légitimité de quiconque pour choisir un argument plutôt qu’un autre, si ce n’est celle du peuple ?

  • 1 vote
    Radix 10 mars 2011 13:54

    Bonjour

    Curieux d’avoir oublié de mentionner que monsieur Blot a été membre du Front National, tendance Mégretiste !

    Il a été même élu au parlement européen sous cette étiquette.

    Il est un des partisans du rapprochement FN-Ump.

    Radix


    • 1 vote
      Erca 10 mars 2011 13:59

      Oui, et alors ?


    • 2 votes
      Radix 10 mars 2011 15:55

      Bonjour Erca

      Quand on disserte sur l’opacité du monde politique, il vaut mieux montrer l’exemple.

      Radix


    • 2 votes
      Erca 10 mars 2011 16:29

      Vous ne m’expliquez pas en quoi l’information que vous donnez était absolument indispensable (cela dit je ne vois aucun problème à ce que vous la donniez). Une introduction d’article n’a pas forcément vocation à détailler le CV des intervenants, et vous remarquerez que je ne l’ai pas davantage fait pour Alain Cotta que pour Yvan Blot. Mais peut-être insinuez-vous qu’avoir des accointances avec le FN, ou même être membre du FN disqualifie pour parler du sujet...


    • 3 votes
      Radix 10 mars 2011 21:18

      Ce qui me gêne, c’est d’entendre quelqu’un qui a un discours mesuré, qui mentionne son ancienne appartenance à l’UMP en tant que député et qui passe soigneusement sous silence la suite de son parcours... Un tantinet chaotique !

      J’aime bien savoir qui me parle et d’où il parle !

      Je ferai juste remarquer qu’à aucun moment ces deux amis ne parle du référendum sur la constitution européenne et pourtant cela aurait apporté de l’eau à leur moulin !

      Radix


    • 1 vote
      Erca 10 mars 2011 23:13

      Je ne vois toujours pas en quoi il était absolument pertinent de savoir qu’Yvan Blot avait des liens avec le FN pour ce qui est de ce débat, mais bon, si c’est indispensable à certaines personnes comme vous, l’information se trouve en 2 clics...



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