• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV Mobile


Commentaire de toug

sur Diffusion du tract du livre noir de la gauche devant Radio France


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

toug toug 19 mars 2013 14:45


" Les imaginaires politiques construits sur une opposition binaire, comme l’est celle de la gauche et de la droite, ne sont pas propices au déploiement de jeux idéologiques subtils, même si on leur adjoint un centre et des extrêmes. Une opposition binaire, c’est tout con. La sophistication des arguties qui, depuis deux siècles, ont nourri les produits d’appel de l’intelligence française a reposé sur le tour de passe-passe consistant à transformer cet espace binaire en un espace ternaire. 

.

 La machinerie en est assez simple. Elle combine deux modalités historiques de l’opposition à la pensée des Lumières et/ou à ce que l’on désigne aujourd’hui par le terme fourre-tout de "libéralisme". La première, illustrée par les écrivains de l’Action française, consiste à dénoncer l’universalisme abstrait au nom des droits du particulier et, surtout, des particularités nationales ou régionales. La seconde, empruntée par le mouvement ouvrier, fonde l’opposition au libéralisme, non sur la nostalgie des ordres traditionnels, mais sur le dévoilement des nouvelles formes d’exploitation générées par le marché.

.

 A ces deux types de critique sont associées deux conceptions très différentes du peuple et de l’émancipation. Dans le premier cas, le terme de peuple désigne les gens dits "ordinaires" enracinés dans des cultures locales, et gratifiés de "croyances", de "valeurs" et d’une identité "authentiques". Dans le second cas, il recouvre tous ceux, quelle que soit leur origine, dont la force de travail est exploitée au profit des possédants. C’est-à-dire les prolétaires, dans l’idiome du socialisme. Quant au processus d’émancipation, il est, dans le premier cas, tourné vers le passé. C’était mieux avant. Et, dans le second, orienté vers le dépassement, et non vers la remise en cause des exigences d’autonomie individuelle, dont les premières Lumières radicales ont jeté les fondements.

.

 Dans la pratique des luttes idéologiques, ces deux critiques peuvent se recouvrir partiellement, surtout dans les périodes marquées, comme la nôtre, par les offensives effrénées du capitalisme : elles sont particulièrement favorables à la prolifération de discours qui prennent appui sur les conséquences désastreuses du capitalisme pour entreprendre la restauration des valeurs traditionnelles. 

.

 Or, parce qu’ils s’affirment anticapitalistes, ces discours peuvent, d’un côté, trouver un écho à gauche. Et, de l’autre, parce qu’ils prônent le "retour aux vraies valeurs", séduire une droite nostalgique, effrayée des effets délétères du capital auquel elle a donné tout pouvoir. C’est ainsi que les années 1930 ont vu fleurir de multiples écrits, émanant de personnalités se réclamant du "ni gauche ni droite" (ceux que Jean-Louis Loubet del Bayle a appelés les "non-conformistes des années 1930"). Quelques années plus tard, certains ralliaient le gaullisme et d’autres, plus nombreux, le pétainisme.

.

 Et c’est de nouveau le cas aujourd’hui. Jean-Claude Michéa est un exemple typique de ces nouveaux PAMPHLETAIRES qui se revendiquent "INCLASSABLES". 


Leur profération peut trouver une oreille favorable chez ceux qui, à l’extrême gauche, cherchent à se positionner contre la gauche parlementaire, en se réclamant du peuple trahi. Mais elle a tout pour plaire aux médias de DROITE, qui leur accordent volontiers attention et entretiens, puisqu’ils s’en prennent principalement, il faut bien le dire, à la gauche.

.

 Voilà pourquoi il n’est pas facile de rendre compte d’un ouvrage qui, comme c’est le cas du Complexe d’Orphée, assène des vérités indéniables, mais sans craindre de les fondre dans des AMALGAMES des plus contestables. 

.

 Cela en mêlant, par exemple, la critique du "marché mondial" et la critique des "droits de l’homme" ; ou la "lutte contre les discriminations" et le "libre-échange". Ainsi, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) serait coupable de prôner la "valorisation de l’homosexualité". De même, la cause des sans-papiers ne serait qu’une "invention" des médias associés au show-business. Ces différentes faces de la culture "avant-gardiste" et "branchée" auraient finalement le même objectif : détruire notre "héritage historique ou naturel", pour lui substituer l’adhésion inconditionnelle au capitalisme globalisé. Quant à la révolte des banlieues, qui a fasciné "les intellectuels parisiens", elle ne serait que la manifestation des expressions les plus barbares de la société consumériste moderne.

.

 La pesante démonstration qui occupe l’essentiel du livre voudrait nous faire croire que l’on peut être "de gauche", voire - lâchons le mot - "anarchiste", tout en s’affirmant "conservateur" et même "réactionnaire".

 

Cela à condition de rompre avec le "nomadisme deleuzien", avec "l’amoralité constitutive" du libéralisme cupide, enfin avec l’individualisme "narcissique" qui entend s’affranchir des "montages symboliques" sur lesquels repose l’ordre social.

.

 Pourrait alors s’engager la vraie révolution (conservatrice ?) qui refondera la société sur les valeurs de la "décence commune", du "don", de la "gratuité", du "désintéressement", de la "dignité" et de la "loyauté".

Que l’on revienne donc, au plus vite, aux valeurs ancestrales, et "l’économie de marché" se trouvera d’un coup "abolie".

.

 On croit rêver. Français, encore un effort pour devenir anarchistes.

.

 Ces voeux pieux sont soutenus par des invocations récurrentes de saint Orwell (qui doit se retourner dans sa tombe !), objet, de la part de Jean-Claude Michéa d’une véritable entreprise de captation. 

.

 Comme ses prédécesseurs, les anticonformistes des années 1930, l’auteur du Complexe d’Orphée entend prendre appui sur la "sensibilité populaire" et même sur la "colère du peuple" pour lutter contre "la police de la pensée". 

.

 Qu’il existe aujourd’hui une sorte de "police de la pensée" est plus que plausible. La question est de savoir dans quelle mesure la pensée de Jean-Claude Michéa n’en est pas elle aussi une expression particulièrement retorse." Luc Boltanski


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès