Ami-camarade Loki,
Ce qui m’embête c’est
que ce que je vais répéter ici, je le dis le plus explicitement du monde dans
cet épisode et par-delà dans cette conclusion dans sa totalité, mais bon, la
répétition étant la base de la pédagogie, je m’y colle.
D’abord, pour ceux à
qui ça ne semblerait pas très clair, si je crache sur la forme de Dieudo, ce
n’est pas pour m’extasier devant celle de n’importe lequel de ses autres
collègues (et d’ailleurs, si j’ai été voir un de ses spectacles dans son
théâtre pour me rendre compte par moi-même objectivement de ce que ça donnait,
je m’imaginerais mal me déplacer pour voir aller voir un autre "comique"
sur scène (enfin si, pardon, j’ai également assisté à un spectacle de Romain
Bouteille mais on me concèdera j’espère que ce n’est pas vraiment formellement
comparable…)).
Ce que j’estime, ce qui
me fait rire et ce que j’ai envie de défendre (en matière d’humour), c’est, par
exemple, Lars von Trier qui réalise "les Idiots", c’est Costes qui
pastiche "Pendant des heures, y t’a mis la fièvre… dans ton cul, dans ton
cul !" dans NTMFN ou le Vuillemin du début qui arrive avec un trait
d’une noirceur radicalement nouvelle. C’est précisé au cas où. Tu as raison
Loki, c’est élitiste si on veut, ça ne me pose pas de problèmes qu’on me
rétorque cela.
Ensuite, soyons clair
(et une fois encore, je crois l’avoir été dans cet épisode), je ne suis pas là
pour donner des bons ou des mauvais points à Dieudo et encore moins pour dire
(ce que je ne pense pas du tout) qu’il est à mes yeux moralement pire que les
chiens qui font de la sale varièt en suçant le show-biz et pour lesquels j’ai encore
moins d’estime. Ça aussi c’est précisé s’il en était besoin.
Après, mon propos n’est
pas du tout (et là encore je crois être parfaitement clair dans cet épisode) de
parler de Dieudonné comme une fin en soi mais, et c’est là-dessus que je serais
éventuellement attaquable ou plus exactement que je pensais être attaqué (je ne
dis évidemment pas que ce serait légitime de m’attaquer là-dessus, juste que ce
serait facile et évident), mais de parler de mon cas personnel ou plus
précisément encore de tenter de répondre un peu sérieusement à la question qui sous-tend
tout ce feuilleton vidéo : est-ce que c’est parce que j’ai chanté puis
écrit explicitement "Mort aux Juifs" que je croupis aujourd’hui dans
l’underground ? Et en ce sens, Dieudonné est évidemment un exemple
signifiant et même édifiant, il était donc très naturel que j’évoque son cas À
L’AUNE DE MA QUESTION.
Et il me semble en
effet que son cas nous apporte une grande partie de la réponse. Parce qu’on le
veuille ou non, la partie légitime de ce qu’il a à dire (la critique du
"génocide TM c’est copyright, c’est déposé"), je l’ai faite 15 ans
avant lui et dans une forme beaucoup plus directe et violente. J’entends
parfaitement bien que son sketch télévisé a eu infiniment plus de
retentissement que mes pitreries confidentielles, mais il est tout aussi juste
de dire qu’imiter un colon extrémiste et chanter explicitement, je le répète, "Mort
aux Juifs", ce n’est pas la même…
Une fois encore, je le
jure, je ne suis pas une seule seconde dans le concours de bites ou la jalousie
(ou la compétition victimaire…) avec le monsieur même si évidemment j’ai pleine
conscience que beaucoup se contenteront de ne retenir que cela, tant pis pour
eux (ou pour moi, c’est selon, ça n’a pas tant d’importance). Ce qui
m’intéresse c’est de chercher à répondre sérieusement à ma question. Or, si on
peut remplir le Zenith après avoir déclenché une telle hystérie collective
contre soi, c’est objectivement, incontestablement, scientifiquement je serais
tenté de dire la preuve que non, ce n’est pas mon "Mort aux Juifs"
qui est responsable de ma confidentialité. Ouf ! On a déjà une grande
partie de la réponse.
J’essaye à partir de ce
moment-là d’aller plus loin dans ma réflexion et de regarder les différences
entre lui et moi qui expliqueraient cet abîme qui existe entre mon
hyper-confidentialité et son succès bien réel. Alors bien sûr, la première
raison qui viendra à l’esprit de ses fans et de mes détracteurs (c’est-à-dire la
majorité des gens, j’en ai de nouveau pleine conscience), c’est la différence
de talent (en sa faveur). OK. Si maintenant on admet que cet argument est faux
et je pense qu’au moins entre toi (Loki) et moi, on peut au minimum poser cette
hypothèse pour tenter de poursuivre mon raisonnement, quels sont donc les
(autres) raisons qui expliquerait cet état de fait ?
J’en vois deux (je
radote décidément ce que je raconte dans ce feuilleton, je t’avais prévenu).
D’une part sa forme que je trouve racoleuse et la mienne que tu qualifies
probablement à juste titre d’élitiste et de trop exigeante. Ça c’est acté et ça
me semble difficilement contestable quel que soit le jugement de valeur qu’on
porte sur des formes grand-public vs des formes plus "avant-garde". Je
n’y reviens pas.
Et d’autre part, pour
revenir à ton post, la deuxième différence se fait il me semble sur (je vais
délibérément utiliser une formulation jésuitique) la capacité à s’adapter et à
accepter les contraintes du monde en générale et de nos métiers en particulier.
J’ai beau tourner le problème dans tous les sens, il me faut bien constater
qu’il existe là encore un abîme entre sa façon d’accepter tout un tas de "réalités"
et ma manière de m’entêter à refuser le moindre arrangement. Et tu sais
quoi ?, si j’avais encore le moindre doute quant à ce point sur Dieudonné,
ta magnifique plaidoirie qui est la pire des accusations à son encontre (ne te
lance pas dans une carrière d’avocat, tu vas te faire couper les couilles par
un malfrat après que tu l’aies poucave au juge) doublée de sa dégoûtante
prestation sur la télé iranienne (n’ayant absolument pas l’âme d’un procureur,
je jure que j’ignorais tout ça, la vidéo en question comme toutes les
compromissions que tu cites en cherchant à les justifier) auraient achevé de me
convaincre.
Alors voilà, j’affirme
ici (et je pense que mon parcours à mon grand âge plaide pour moi) que sur le
plateau de cette télé, je n’aurais pas, mais alors pas du tout !, baissé
mon pantalon, écarté mon cul et offert servilement la vaseline sur un plateau
d’argent au Guide suprême de la révolution islamique comme il l’a fait, a
fortiori pour gagner du poignon, et de façon générale, sept gosses ou pas à
nourrir, absolument tout ce que tu racontes sur lui en cherchant à le justifier,
je me serais absolument interdit de le faire (et d’ailleurs, évidemment ce
serait malhonnête de dire que c’est la seule raison, mais si je n’ai jamais
fait de gosses, c’est aussi parce que je vivrais très mal de me retrouver
coincé entre abdiquer mes principes ou faire vivre mes enfants dans le
dénuement – c’était une digression qui vaut ce qu’elle vaut).
Et j’ajoute pour finir
et retomber magnifiquement sur mes pieds, qu’il me semble que cette capacité ou
non à "s’adapter et à accepter les contraintes du monde en générale et de
nos métiers en particulier" n’est pas du tout, mais alors vraiment pas du
tout une raison marginale qui explique pourquoi Dieudo (et a fortiori Orelsan,
on le verra la semaine prochaine) font une carrière que l’intransigeance de mon
caractère m’interdit : CQFD. J’attends qu’on vienne (sérieusement, de
façon argumentée) détruire mon raisonnement sur ce point…
Je conclus par une citation,
c’est de Diderot dans "le Neveu de Rameau", je suis quasiment certain
qu’à toi au moins Loki, elle devrait bien plaire : "On loue la vertu ;
mais on la hait ; mais on la fuit ; mais elle gèle de froid ; et
dans ce monde, il faut avoir les pieds chauds."