J’ai déjà raconté cette anecdote mais j’ai parlé il y’a
quelques années avec des jeunes hommes la veille de leur départ pour la Syrie, j’étais
tombé sur eux par hasard dans un parc et on a discuté. L’échange m’avait
tellement intéressé que je me suis mit à m’informer frénétiquement sur les
jihadistes français, j’avais lu dans les jours qui ont suivit l’excellent
bouquin de David Thomson « les Français jihadistes ». Et j’ai, en
lisant les témoignages qu’il a compilé, retrouvé le profil des garçons avec
lesquels je discutais, il a en plus réussit à formaliser les idées que je ne parvenais pas à exprimer après la discussion,
car trop confuses. J’ai lu depuis des articles et ait fait des rencontres qui
confirment un phénomène que je subodorais.
Il y’a quelque chose dont on parle peu dans le phénomène des
jihadistes occidentaux mais qui est fondamental. Bien entendu, il y’a en commun
chez ces gens là (et au-delà) une perception de l’islam comme un marqueur
identitaire. C’est évident mais ce que je veux dire c’est que dans la pratique,
l’islam pour ces personnes en général n’est pas une religion, d’ailleurs ils ne
parlent pas arabe et ne connaissent pas grand-chose aux théologies islamiques (bien
sur je parle d’une tendance, il y’a des cas particuliers qui ne correspondent
pas à celà , il existe d’ailleurs plusieurs profils, David Thomson en décrit trois
dans son bouquin). On peut décrire ce marquage identitaire par diverses explications
à combiner (ce n’est pas parce que je ne les décris pas que je les néglige) mais l’une d’elle est très bien décrite par
Michel Drac dans la vidéo : on a affaire à une marque (dans le sens
consumériste du terme) servant à valoriser l’égo. Il y’a beaucoup de point
commun entre ce profil spécifique de jihadiste et les délinquants américanisés
des banlieues , ce sont les mêmes en fait , c’est-à-dire qu’ils troquent la figure héroïque de Tony Montana ( le
grand voyou avec de grosses flingues et de grosses thunes qui est parti de rien et qui s’est fait tout seul
) pour celle de Ben Laden ( le grand révolutionnaire romantique qui se bat et
meurt pour l’islam qui dans cette perspective est une marque identitaire plus prégnante
que celle de supporter du PSG ). On est vraiment à ce niveau là.
Paradoxalement, certains partent de ce paradigme schizophrénique
néolibéral pour se retourner contre les valeurs hédonistes néolibérales et
désirent vivre et mourir à la Spartiate au Sham. Ceux là sont dans une
véritable quête de sens et vivre dans des
sociétés occidentales qui ne croient plus en rien et dans laquelle la
dernière forme de transcendance est l’incertitude sur la date des soldes ne
leur convenaient plus. Dans leur quête, ils recouvrent le sentiment d’honneur,
d’estime de soi articulé autour d’une croyance collective qui donne un sens à
leur existence et à leur mort. D’autres au contraire désirent
poursuivre le mode de vie du racailleux aspirant
au bling bling mais avec l’étendard de l’islam. Ce dernier profil donne des scènes surréalistes
avec ces combattants qui se font des selfies dans des villas devant des
piscines et des voitures de luxe pour traiter leurs copains resté en France de
crevards et ainsi les inciter à les rejoindre. Et puis, particulièrement pour
ceux qui reviennent en occident pour commettre des attentats, il y’a bien
évidemment le mobile de la frustration
qu’ils vont habiller en vengeance et légitimer par le devoir religieux.
Il y’a des études sur la « radicalisation »
et dans la grande majorité des cas, ça ne se fait pas par une étude approfondie
et érudite des textes religieux mais dans les prisons (donc au sein de gangs
de prison) et surtout sur internet ou la propagande de l’EI se déploie de façon
très efficace. Faut voir les vidéos de propagande de Daech, elles sont superbes,
faites par d’excellents communicants, de vrais pros. Elles renforcent l’image de virilité et sont faites dans le style des jeux vidéo de
tir à la première du style de counter- strike (les moins vieux comprendront).
Elles s’intègrent très bien à la culture pop des jeunes occidentaux avec toute
une esthétique moderne de la violence (qu’on retrouve aussi dans les films Hollywoodiens
) susceptible de susciter le désir de devenir un héros ou de mourir en
cherchant à le devenir. Ce sont des vidéos qu’on devrait étudier dans les
meilleures écoles de communication, les mecs qui les ont construites ont tout
compris.
Bien sur, en
arrière fond, il y’a un discours théologique mais il est simpliste, binaire et
manichéen. En d’autres termes, c’est du prêt à porter pour idiots. Mais c’est
surement pour ça qu’il fonctionne aussi bien. Surement aussi à cause du
délitement social au sein des communautés musulmanes de France qui ont perdu la culture de la transmission
des traditions religieuses, ce qui favorise les interprétations sauvages et idiotes des textes religieux par l’intermédiaire des réseaux sociaux.