La grandeur des grands théoriciens de la conspiration illuminati sur internet, c’est leur capacité à tout mélanger et à ne choisir que ce qui alimente leur idée. Quelques années en arrière (2010), quand j’avais publié deux textes importants - l’un de Weishaupt, l’autre de Faber - sur le sujet, la librairie Kontre Kultur m’avait adressé un bon de commande pour racheter l’intégralité de mon stock. Ratier (paix à son âme) me voulait dans sa feuille mensuelle pour en parler. J’ai refusé par conviction. 

Va comprendre pourquoi ceux qui sont les premiers à dénoncer une mainmise de l’illuminisme à l’allemande sur le monde - par germanocentrisme sans doute ? - ont désiré mettre en avant les sources authentiques. Mais passons. 

Ce que je constate - et, détrompez-vous chers loups des steppes en manque d’os à ronger -, c’est qu’un mouvement des Lumières allemandes qui n’exista que de 1776 à 1785 (avec une seule apogée en 1782) est devenu le point de mire d’une manière de pensée animée par un instinct (salutaire en temps de guerre et d’occupation) qualifié de "dissident" par ceux qui en sont animés.

Un moment de l’histoire européenne qui, quoiqu’on en dise, a contribué à ce que nous sommes devenus, qui a influencé l’idéalisme en philosophie, la politique et même le scientisme moderne, devenu le centre d’intérêt majeur de notre époque qui se meurt et se débat dans ses propres principes fondateurs. Nous y voilà : saper les fondements, miner la base, comme n’importe quel nietzschéen le comprendra, est devenue la seule méthode, comme si rien d’autre n’avait de valeur. Ce n’est pas mon point de vue. 

Le mouvement des illuminés a organisé une synthèse de la pensée des Lumières allemandes de la fin du XVIIIe siècle. Il l’a organisée en créant un vaste catalogue commun des livres appartenant aux membres de l’Ordre (resituez-vous au XVIIIe siècle, souvenez-vous que les livres ne circulaient publiquement qu’avec privilège du roi et protection des seigneurs et qu’un écrivain, en France du moins, pouvait finir embastillé, que ce que nous connaissons aujourd’hui sous l’appellation de "liberté d’expression" n’avait aucun droit de cité en Bavière). Il a créé un système de mutuelle. Il a tenté - bien en vain - de combattre les méthodes d’enseignement des Jésuites (Pascal, Descartes, passés chez les Jésuites, ont témoigné de la pauvreté de l’enseignement scientifique et moral dispensé dans leurs collèges). 

Mais tout cela n’a rien d’inconnu : l’ignorer, c’est être passé à côté de l’essentiel par manque de recherche, de lectures, de dialogues ; c’est - pour la plupart des adeptes du complot illuminati - s’être abreuvé à des sources corrompues et viciées en le sachant par avance ; c’est avoir pris le parti de l’idéologie et de la paresse. 

Aujourd’hui, pardon de vous le dire, mais la rebellion qui consiste à cibler un ennemi en partie fantasmé, en partie construit idéologiquement, n’a pas plus de poids qu’un défi de bac à sable. La jeune fille qui plonge son orteil dans l’eau glacée et qui ne se baigne pas reste prudente. Elle sait ce qu’elle sait et ne surestime jamais ses capacités. Elle n’aime pas la vanité. Le Spartiate est tout autre : il fonce et se blesse, tape et demande pardon d’avoir transgressé les limites de l’urbanité.  

L’autorité de quelques auteurs en vogue aux USA (pays du livre par excellence, tout le monde le sait !) a traversé l’Atlantique sur les ailes d’un aigle : Josephson, Sutton, Jones, Marrs, et j’en passe sont entrés dans la tête de quelques déçus en mal d’ennemi et de sens pour s’y enraciner profondément. Rien à reprocher à cela. On peut nourrir un soupçon radical : néanmoins, quand on proclame rechercher la vérité à tout prix, on ne peut pas fermer la porte aux textes, aux recherches universitaires, aux ouvrages objectifs sur ces questions, ni attaquer sans arguments solides ceux qui soutiennent le contraire de vos convictions. 

Pour finir, pourquoi avoir choisi Conspiracy Watch ? (car j’en ai fait moi-même la demande, contrairement à ce que certains commentateurs affirment - ou plutôt dégueulent - ici) : parce que Rudy Reichstadt a l’immense mérite de mener sa barque depuis le début, de résister à la vindicte irrationnelle des excités, de poser les choses dans le débat public en donnant toujours le bénéfice du doute et la possibilité de répondre à ceux qui, sur le web et ailleurs, tissent une toile noire sur les consciences au lieu de garder la tête froide et de se dire : la vérité est froide, froide comme la glace, mais elle n’est pas toujours mauvaise. Rudy est courageux, beaucoup plus que les commentateurs d’AgoravoxTV sous pseudo. Un pseudo, c’est un signe de paranoïa : s’exprimer derrière un masque, mais quel courage !  

  

Allez, bon vent les penseurs !