@Joe Chip
Les hommes à l’intelligence pratique et vive, capable de prendre
des décisions sans posséder "toutes les données de l’équation",
d’aller contre le courant, ont disparu progressivement du paysage politique
français pour laisser la place à des gens qui avaient à peu près le même profil
cognitif que les hauts-fonctionnaires et étaient issus des mêmes milieux.
------> Oui. En d’autres termes , le profil d’homme
d’Etat a laissé la place au profil gestionnaire technocratique , une génération
en a remplacé une autre qu’elle méprisait , une fois arrivé au pouvoir elle a purgé
tout ce qui ressemblait à un monde qu’elle considérait comme révolu et archaïque
…
Les concours de la haute administration sont calibrés à la base
pour sélectionner des cadres et des purs gestionnaires, donc des gens dotés
d’une très grosse capacité de travail, d’une excellente mémoire et de grandes
facultés de synthèse et d’analyse, qualités d’ailleurs réputées "très
françaises". Le conformisme de ces fonctionnaire est donc intrinsèquement
attaché à ce mode de sélection.
------> Tout à fait.
Une fois qu’on a dit cela , il faut réussir à faire la part
des choses car le conformisme en lui-même n’est pas un problème. Pour des
raisons évidentes de stabilité et de continuité de l’Etat , il faut au sein de
la classe dirigeante d’un pays une certaine dose de conformisme. Une idéologie
dominante est indispensable à la cohésion et un minimum de pratiques , de présupposés
, de vision du monde en commun doit être présent chez les dirigeants pour que
ça n’aille pas dans tous les sens. Le
problème , c’est l’excès de conformisme. A la louche , 70 % des membres des classes dirigeantes qui sont
conformes est une proportion acceptable car il restera 30 % qui constitueront
des pôles de pensées opposées qui incarneront la dimension autocritique du système
nécessaire à la remise en question permanente
et à la correction d’une certaine orthopraxie du pouvoir. Tout système doit
pouvoir incuber en lui ces germes d’autocritiques
pour ne pas se scléroser et activer des dynamiques de type sectaires. C’est ce
qui arrive lorsque 99 % des membres d’une classe dirigeante sont conformes , les
1 % sont perçus comme des dissidents , des illuminés , des excentriques folkloriques
qui méritent moqueries et ostracisations. C’est cela qui est très dangereux car
le système fonctionne en circuit fermé enfermant la pensée dans ces cercles vicieux d’auto
cautionnement panurgique dont elle ne peut sortir que lors de la survenue de
catastrophes de grande ampleur.
C’est pourquoi je ne suis pas contre le principe de l’ENA ou
des grandes écoles en général , ce sont des centres de formation indispensable à la
constitution de grand corps nécessaire au pilotage d’un Etat stratège. L’un des défis consiste à réussir à diversifier les profils pour permettre l’éclosion d’une
dose de pluralisme au sein de la classe dirigeante mais pas trop non plus pour conserver une
certaine stabilité. L’autre défi consiste à ne pas abandonner la gestion de l’Etat
à ces grands corps en introduisant des pouvoirs et des contrepouvoirs citoyens
, institutions qui à mon sens font cruellement défaut dans la cinquième
république.