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Considérations sur les arts urbains

Une question m’est souvent posée au sujet des arts de la rue : street art et graffiti « à l’Américaine ». Peut-on considérer la rue comme étant la plus grande galerie d’art du monde ?

La plupart des gens en France et même certains artistes urbains en sont convaincus, mais je n’adhère pas à cette vision pour plusieurs raisons que je vais m’efforcer de développer. Je ne pense pas que la rue soit un lieu équivalent à une galerie pour de nombreuses raisons. La première qui me semble essentielle est que celle-ci est un espace ouvert qui peut devenir dangereux pour ceux qui n’en connaissent pas les règles. La rue possède ses propres « lois » et celles-ci sont très codifiées : on ne peint pas n’importe où, n’importe comment ou sur n’importe quel graffiti sans en subir les conséquences. Ensuite, il n’y a pas que l’art urbain qui s’est ré-approprié les murs de nos villes. Des inscriptions racistes, comiques ou existentielles y fleurissent assez régulièrement, des imitateurs d’artistes urbains, les nombreux collages publicitaires ainsi que la publicité officielle…

Bref, tout est possible, le meilleur et, hélas, très souvent le pire ! Enfin, la rue n’est pas forcément le lieu approprié pour toutes les pratiques artistiques urbaines… Avec l’expérience, je pense que les friches industrielles, les voies SNCF désaffectées, les longs murs gris des usines ou encore les terrains vagues me semblent plus souvent être des endroits plus propices à la création. Paradoxalement, ils se rapprochent bien plus de la galerie comme lieu recevant un artiste et son œuvre que la rue.La rue comme espace de création est souvent perçue comme un grand terrain de jeu par ceux qui pratiquent les arts urbains depuis de nombreuses années. Les œuvres peintes, collées ou affichées dans la rue sont offertes au regard de ceux qui prendront la peine d’être attentifs à leur environnement. Mais celui qui exécute un graff ou un collage s’amuse et vit une forme d’aventure urbaine qui lui permet de trouver un intérêt à continuer, tout en sachant que la plupart de ses œuvres sont éphémères et ne lui rapporteront rien, contrairement à une œuvre exposée dans une galerie. C’est un acte totalement gratuit donc antinomique avec le monde du marché de l’art. Parfois, je me dis que la plus grande galerie du monde, c’est plutôt Internet qui réussit à associer le plaisir du regard et la possibilité de « marchandiser » ce que l’on voit.L’art urbain comme un « don » de soi ? Je n’y crois pas non plus ! C’est avant tout une pratique artistique complexe qui intègre deux notions fondamentales : l’éphémère de l’installation et la gratuité. Cependant, avec Internet, les choses ont beaucoup changé depuis le début des années 2000… Le Web génère de la notoriété en très peu de temps et bien plus rapidement que durant les décennies précédentes. Par exemple, Ernest Pignon Ernest ou Blek le Rat sont moins « stars » sur la toile que bien des jeunes artistes urbains en herbe. Pourtant, ce sont des pionniers du street art en France ! Mode 2, Bando ou La Force Alphabetik connaissent d’une certaine manière la même chose dans le graffiti… Le monde virtuel a modifié cet art dans sa nature profonde : il faut à la fois être présent sur les murs des villes et ceux des réseaux sociaux…

Certains arrivent même à n’être présents que sur les réseaux sociaux grâce à une épisodique sortie nocturne durant laquelle ils ont collé ou peint une œuvre dite « urbaine », leur permettant de « poster » une image attestant qu’ils ont pratiqué dans la rue. Les faussaires existent partout même dans le street art ! J’en avais déjà parlé dans une interview pour le Mensuel de Rennes. Il ne faut pas non plus critiquer cette modernité car les arts urbains se sont adaptés aux nouveaux outils de communication. L’artiste doit communiquer avec intelligence : s’il y a du fond dans la forme (pour le coup, il faut avoir une forme qui permette au fond d’être bien mis en valeur), il s’imposera malgré la profusion de sites et de pages consacrées aux arts de la rue. N’oublions jamais que l’émotion que suscite l’œuvre est primordiale même si l’art urbain oblige l’artiste à avoir un rapport direct avec les passants. Un rapport bref mais qui doit marquer les esprits. Sur Internet, cela est moins évident.

Présent dans l’espace public, à la portée de tous, l’art urbain touche tout le monde et fait donc connaitre les travaux des artistes de manière simple et efficace. C’est aussi une manière de faire passer des messages, revendiquer des opinions… Est-ce pour autant un art politique ou protestataire ? Je ne suis pas convaincu que l’art urbain soit vecteur de conscience politique, à l’instar des Dadas ou des Surréalistes !

Certains artistes comme Banksy, au Royaume-Uni, ou JBC, en France, font passer des messages à travers leurs installations… Ils sont assez rares ! Néanmoins, de plus en plus d’artistes « urbains » acceptent volontiers de mettre leur savoir-faire aux services de causes justes et humanistes, mais ils le font au titre de citoyen-artiste et pas uniquement dans une démarche globale d’artiste.

La rue, avec ses règles à respecter et sa grammaire urbaine, oblige l’artiste à être rapide dans son exécution, simple et efficace. On ne peut pas toujours simplifier une pensée complexe qui mérite de la pédagogie, utiliser un slogan pour faire « tendance », ni réduire des idées à deux ou trois images « faciles » pour toucher le grand public. En cela, je pense que Banksy est un artiste unique en son genre et qu’un grand nombre d’artistes urbains choisissent de ne pas trop mêler la politique à leur art. Une œuvre est-elle forcément réalisée pour dire quelque chose ? Selon moi, cela concerne l’art en général et pas uniquement les arts de rue. En même temps, toute forme d’art ne porte pas forcément un message. La rue n’est pas un lieu tendre et ceux qui la pratiquent se sont souvent endurcis. Humanisme et arts de la rue ont des visions et des buts antinomiques. Je pense que le fait d’agir dans la rue est déjà un acte politique et citoyen : mur blanc (souvent gris…), peuple muet !

Un danger guette les arts urbains : sa récupération par le marketing au service de la marchandisation des esprits et de la culture. Des génies du marketing et quelques opportunistes ont inventé des mots pour désigner cet art afin de lui donner une nouvelle virginité et, pour le coup, mieux l’aliéner à leur volonté en l’utilisant à des fins économiques. Pourquoi inventer des mots comme « artiviste » ou encore « pressionnisme » alors que des termes existent en français et en anglais et qu’ils conviennent aux pratiques actuelles. Ou alors est-ce une forme de « blanchiment lexical » pour masquer un vide intellectuel ! Le terme « nouveau » est assez souvent utilisé pour déguiser la médiocrité avec les habits de l’excellence afin de vendre sa « soupe » aux néophytes en la présentant comme la chose qu’il ne faut surtout pas rater. Il suffit de lire la presse tendance pour s’en convaincre !

Catégoriser l’art est une manière de mieux le réduire à sa fonction et non à son essence !

Pour conclure je rappellerai que le Hip-Hop, qui fête ses 30 ans d’existence en France cette année, est le dernier mouvement artistique du XXe siècle. Il a fini par s’imposer dans notre pays malgré les réticences du Ministère de la culture et de tous les tenants d’une culture élitiste qui font mine de se préoccuper des envies du peuple. C’est aussi le cas des cultures régionales qui reprennent de la vigueur et parfois réussissent à mélanger les arts urbains et leur tradition.

Tags : Musique Ville Art Culture




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1 réactions à cet article    


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    Quasimodo 29 décembre 2018 18:42

    Basquiat ...



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