La chanson en laisse, trésor de notre patrimoine
Les chansons en laisse, nous en avons chanté durant toute notre enfance : En passant par la Lorraine, A la claire fontaine, Gentil coquelicot, Auprès de ma blonde, et tant d’autres. Ces trésors de notre patrimoine, souvent composés par les plus grand musiciens, n’intéressaient pas les grands théoriciens de la littérature, et ils auraient disparu si le peuple ne s’en était emparé.
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UNE LAISSE N’EST PAS UNE STROPHE
Mais d’abord, qu’est-ce qu’une laisse ?
Comme nous l’avons appris au lycée lors des cours sur la littérature du Moyen-Age, il s’agit d’une série de vers dont le nombre n’est pas fixe (souvent une dizaine ou une quinzaine), tous terminés par la même assonance (rime imparfaite). Contrairement à une strophe de quatre vers, qui n’attend que le musicien pour devenir un couplet, la laisse constitue, pour le compositeur, une matière clairement rebelle.
Une laisse ne peut se chanter telle quelle. Pour créer des couplets dans la chanson alors que le poème dont elle est tirée ne comporte pas de strophes, le musicien doit ruser : faire chanter deux fois le même vers pour que deux vers contigus bissés finissent par fonctionner comme une strophe de quatre vers ; ajouter des éléments intercalaires (les sabots dondaine oh oh oh par exemple) pour étoffer un texte bref. Ces éléments intercalaires ne constituent pas forcément un refrain ; écrits par le musicien, ils prennent place là où il a besoin d’eux, c’est à dire pas forcément entre deux couplets (bien que ce ne soit pas interdit non plus d’en faire un refrain). Ils sont là pour servir la musique et n’ont souvent pas de sens particulier.
Ces difficultés techniques sont aussi, pour le compositeur, l’occasion de montrer sa créativité et son talent, si bien que le genre a attiré les plus grands. Ainsi, Margot, labourez les vignes, ancêtre de En passant par la Lorraine, a été composé par le grand musicien Jacques Arcadelt (1504-1568 environ).
PARTICULARITES DE LA CHANSON EN LAISSE
Le cadre extrêmement contraignant de la laisse influe sur le contenu de la chanson en laisse, qui présente des caractéristiques spécifiques par rapport à la chanson strophique. On notera :
Les ornements intercalaires sans signification particulière (les sabots dondaine, les vigne vigne vignolet ...) : ils sont introduits par le compositeur pour pallier l’absence de strophes sur laquelle caler ses couplets ;
Les vers chantés deux fois (même raison technique) ;
La brièveté du texte "utile" : si l’on retire de la chanson les ornements intercalaires, les sabots-dondaine oh oh oh et autres éléments sans signification, on s’aperçoit que le "texte utile", celui qui a un sens et fait progresser le récit, est très bref : une dizaine ou une quinzaine de vers ; le poète va donc devoir raconter son histoire dans un cadre très contraignant par sa brièveté ; par exemple : réduite à son "texte utile", c’est à dire à sa laisse, En passant par la Lorraine devient :
En passant par la Lorraine - Rencontrai trois capitaines -Ils m’ont appelée "vilaine" - Je ne suis pas si vilaine - Puisque le fils du roi m’aime - Il m’a donné pour étrenne - Un bouquet de marjolaine - Je l’ai planté dans la plaine - S’il fleurit je serai reine - S’il y meurt, je perds ma peine.
Un texte parfois obscur : cette particularité est due à la brièveté du texte utile, à une transmission largement orale, mais aussi parfois (car un poète de talent sait transformer une contrainte en occasion) à une maîtrise de l’allusion et du double sens, en particulier dans des thématiques plus sexuelles qu’il y parait à première audition
Les thèmes sexuels : jamais tout à faits absents (car les obscurités du texte, jamais tout à fait absentes elles non plus, créent la tentation), ils vont du très poétique (le jardin de mon père, le rossignol ...) au paillard non dissimulé, comme dans cette version des Filles de la Rochelle. La variabilité de la chanson en laisse crée d’irrésistibles tentations de développer plusieurs variantes, celles qui peuvent se chanter devant les dames et les autres.
Un texte évolutif : là encore, plusieurs facteurs se combinent pour expliquer qu’une chanson en laisse ne cesse de se modifier : transmission orale populaire ; souhait d’un poète de "corriger" un texte qu’il trouve trop obscur, où d’ajouter ses propres allusions à celles de ses prédecesseurs
Un fascinant dialogue collectif entre les auteurs par delà les siècles : le lecteur le verra aisément en comparant, parmi les différentes chansons illustrant cet article, les nombreuses variantes, ancêtres ou descendantes de En passant par la Lorraine. En analysant l’évolution de cette chanson, nous verrons qu’elle vit sa vie au delà de l’intention de ceux qui ont apporté quelque chose à son texte. C’est un peu l’inconscient collectif qui est le véritable auteur.
QUAND LES POETES SE REPONDENT PAR DESSUS LES SIECLES
Une chanson en laisse n’a pas un texte unique qui serait seul "le vrai". Elle a des parents, des frères, des soeurs, des descendants. La même laisse peut être mise en musique avec des ornements intercalaires différents. Ou la même mélodie se voit associer à des poèmes différents. La variabilité est dialogue par dessus les siècles, et l’évolution des variantes finit par respecter le même thème général en permettant à chacun de "mettre son grain de sel".
Prenons l’exemple de cette laisse très connue :
En passant par la Lorraine - Rencontrai trois capitaines -Ils m’ont appelée "vilaine" - Je ne suis pas si vilaine - Puisque le fils du roi m’aime - Il m’a donné pour étrenne - Un bouquet de marjolaine - Je l’ai planté dans la plaine - S’il fleurit je serai reine - S’il y meurt, je perds ma peine.
Tags : Musique
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