Paris ne finit jamais
Il y a ceux qui y étaient et ceux qui n’y étaient pas. Ceux qui y étaient en parleront comme s’ils avaient assisté à un rite initiatique primitif. Ceux qui n’y étaient pas écouteront d’un air incrédule quelques récits hallucinés.
C’était à Paris le 25 septembre 2008 et ce n’était ni une exposition ni une fête ni une performance artistique, c’était tout cela à la fois et l’événement annoncé deux mois avant sur les plates-formes vidéos et les réseaux sociaux avait généré contre toute attente un bruit de fond, le fameux buzz qui est à internet ce que le Saint Graal est aux légendes mystiques. C’était un bruit lointain que l’audience quasi confidentielle de la vidéo teaser ne laissait guère présager. Et pourtant.
La soirée était à peine entamée que déjà une foule nombreuse et bigarrée se pressait aux portes de la galerie Deborah Zafman dans le Marais à Paris. Bigarrée car le dress-code de ce moment très particulier était la fantaisie et si cette fantaisie ne faisait pas dans l’extravagance elle apparaissait çà et là comme une floraison de chic et de fraîcheur.
Selon l’entrée, on pouvait apercevoir une installation de coupes remplies de couleurs chatoyantes qui buvaient la lumière comme une féerie byzantine cependant que de ravissantes hôtesses moulées dans des robes de soie sauvage servaient, extatiques, des nectars exotiques parfumés au Ricard avec une prodigalité princière.
Dans l’espace lumineux de la galerie les murs montraient pour l’occasion des tableaux de Natcha de la Granville, un Brad Pitt et une Angelina Jolie noyés dans des dollars roses, les emblématiques Zuman des VLP dont les bulles vides invitaient à la divagation et aux desideratas les plus fous, les soleils rose bonbon et fuchsia de la jeune artiste Anne-Flore Cabanis ainsi que les Dream Passports de Cyril Skinazy à base de photos et d’objets de personnalités, bric-à-brac conceptuel entre Deyrolles et Toys R’Us échappé de l’atelier d’un Rauschenberg. Foutage de gueule ou sémantique de la trace et de l’investigation ? Dans tous les cas, humour ravageur, mix très probable de Groucho Marx et de Marcel Duchamp.
Vers 20 heures, alors que la soirée battait son plein entre Eyes Wild Shut et Monsieur Bricolage, la stupeur se peignit sur les visages quand pareilles à des danseuses nues de l’Inde ancienne une douzaine de sylphides (dont Deborah Zafman elle-même) aux croupes généreuses et aux seins bombesques offerts à tous les regards vinrent donner leur corps en pâture dans l’espoir de susciter des vocations picturales.
L’assistance médusée contemplait cette performance comme les apprentis d’un rite vaudou et lorsqu’elle fut conviée à tracer signes et symboles sur ces statues diaphanes que les cils fluorescents transformaient en libellules anthropomorphes les flashes des paparazzi crépitèrent.
On se serait cru revenu aux plus belles heures du club 54 et de la Factory d’Andy Warhol, les substances illicites en moins.
Ensuite la barrière entre spectateurs et performers qui était déjà fortement ébranlée s’effaça définitivement lorsqu’en hommage récurrent à Halsman et Depardon l’invitation à sauter devant la vibration psychédélique d’Anne-Flore Cabanis fut lancée et que le photographe Jean Cemeli se mit à shooter ces « Jolis Jumpers » avec un mélange de maestria et de décontraction. Les « Billy Elliot » potentiels ne se faisaient pas prier pour figurer sur la future photo culte.
Alors que le flot des invités s‘écoulait entre le passage et l’intérieur dans cette atmosphère pleine d’insouciance, d’excitation et de fantaisie j’entendis Jeremy Dumont décréter : « Nous faisons l’Histoire ! », déclaration audacieuse à l’ère de « l’homo festivus » (Philippe Murray).
Et il entendait par-là que, dans la pléthore de fêtes, de raouts et autres parades, celle-ci était différente et marquerait les esprits.
Ce fut à cet instant que la caméra de Xavier de Moulins de l’émission ultra-branchée Paris Dernière débarqua tel un commando futuriste.
Lorsque les Something à la mode commencèrent à jouer, les « wishdoctors » aux corps pareils à des vierges du Swaziland pigmentées sans retenue se répandirent dans la foule avec des ondulations d’hétaïres et que plus tard la performeuse Tamara Milon se produisit, son show millimétré se transforma en pandémonium hystérique. Assis dans un coin, le critique d’art Francis Parent semblait plongé dans un abîme d’interrogations. Plus loin, l’écrivain et chanteur Edouardo Pisani élégant comme un d’Annunzio observait un Vignale aux poignets mousquetaires qui gourmandait Leïla Ghandi en coiffe de duvet de cygne blanc, elle-même possédée du duende sur le dance-floor.
Sur le coup de 10 heures, Serge Kruger, trend concepteur fameux, ex-roi des nuits parisiennes et sound collector mythique, tenant d’une « aristocratie populaire » lança ses reaggetons, vaionatos et autres rock’n’roll inédits. Ce fut une ferveur de cris et de farandoles que seule la venue de la maréchaussée sur le coup d’1 heures vint interrompre.
Alors que les derniers invités se répandaient dans les rues, une atmosphère de grâce et de ferveur annonçait une douce nuit et nul ne se doutait que Paul Newman le plus beau regard du cinéma américain venait de disparaître.
Il y a ceux qui y étaient et ceux qui n’y étaient pas. Mais après tout quelle importance puisque, pour paraphraser l’écrivain Enrique Vila Matas, Paris ne finit jamais et qu’en matière d’art, de fêtes et de folie créative elle ne craint aucune ville car tout peut y arriver !
Coralie Monfort
WELCOME TO THE DREAM FACTORY/Le jeudi 25 septembre 2008
Un concept proposé par Cyril Skinazy, réalisé par Deborah Zafman, Jeremy Dumont et Cyril Skinazy
Une coproduction ZEROTV/Les Apéros du Jeudi/Galerie Deborah Zafman.
Tags : Fun Art Culture Communication Fêtes
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON