Qui est ce coureur qui battrait le photon sur la ligne d’arrivée ? Ce neutrino aux prétentions super(ou supra)luminiques ? Il s’agit d’une particule passe-muraille, qui n’a pas de charge électrique et dont la masse est théoriquement nulle. Le neutrino échappe ainsi aux interactions habituelles avec la matière et peut traverser la Terre –et nous- sans se faire repérer.
L’existence d’une particule neutre a été théorisée dès 1930 par Wolfgang Paul. Son nom lui a été donné quelques années plus tard par Enrico Fermi, le grand physicien américain d’origine italienne, neutrino signifiant ‘’le petit neutre’’ en italien. C’est en 1955 que deux physiciens annoncent sa découverte expérimentale.
Bien qu’ils soient très abondants, les neutrinos sont par nature des particules très difficiles à détecter. L’ampleur des instruments déployés -comme le SuperKamiokande au Japon, les détecteurs américains MINOS ou MiniBoone (Fermilab), Antarès en Méditerranée, Double Chooz en France ou IceCube en Antarctique- est inversement proportionnelle à la discrétion des neutrinos !
Certaines expériences visent à détecter des neutrinos cosmiques (émis par des explosions d’étoiles par exemple), d’autres des neutrinos solaires. Certaines enfin étudient des neutrinos fabriqués par des centrales nucléaires ou par un accélérateur de particules, comme OPERA installée à Gran Sasso en Italie.
"Ce serait trop beau pour être vrai, c’est pour ça que je suis prudent", résume Alfons Weber, spécialiste en physique des particules à l’Université britannique d’Oxford.
"C’est un très, très gros +si+, mais si c’est confirmé, je ne vois aucune façon de l’expliquer par les modèles actuels ou notre compréhension de l’univers", explique-t-il. "Car l’un des piliers de ces théories est la relativité d’Einstein qui dit que rien ne peut aller plus vite que la lumière", rappelle-t-il.
"La plupart des théories ont été confirmées avec une très, très grande précision, y compris la relativité d’Einstein", insiste M. Weber, qui se penche sur les neutrinos depuis 20 ans.
Et pourtant, selon les relevés effectués par Opera avec une marge d’erreur inégalée, ces particules élémentaires de la matière ont parcouru les 730km séparant les installations du Centre européen de recherches nucléaires (CERN) à Genève du laboratoire souterrain de Gran Sasso (Italie) à une vitesse de 300.006 kilomètres par seconde. Soit 6 km/s de plus que la lumière !
"Je ne connais personne qui puisse réconcilier ces mesures avec les théories actuelles. A moins qu’il n’y ait une erreur de mesure !", tranche Alfons Weber.
Antonio Ereditato, porte-parole d’Opera, reconnaît volontiers que "ce résultat est fou".
"Nous avons cherché la moindre source d’erreur possible qui aurait pu fausser la mesure dans notre expérience, nous n’avons rien trouvé !", assure-t-il.
"Nous en appelons maintenant à l’aide des autres", avoue M. Ereditato qui, ironie de l’histoire, est aussi le directeur du Centre Albert Einstein pour la physique fondamentale, à Berne.
Aussi déstabilisants soient-ils, "on ne peut pas cacher ces résultats sous le tapis ! Nous avons le devoir moral de dire quelque chose. Si nous le faisons, c’est précisément parce que nous voulons être scrutés au microscope par la communauté scientifique", explique le physicien du CERN.
Une communauté qui ne cachait pas son scepticisme devant cette publication "révolutionnaire" et qui a déjà commencé à "chercher la petite bête" dans ces mesures "incompatibles" avec les théories actuelles, à l’instar de Pierre Binetruy, directeur du Laboratoire Astroparticule et cosmologie à Paris.
"La physique est une science expérimentale, donc si un fait est scientifiquement établi, j’y crois. C’est ce qu’il va falloir vérifier parce que cette observation défie l’entendement", juge, dans Libération, un autre théoricien, Pierre Fayet, de l’Ecole normale supérieur.,
En privé, un expert anglo-saxon ne cache pas son incrédulité : "Etant donné que je crois aux théories que nous avons et que cette mesure est la seule indication que quelque chose cloche, je pense qu’il y a un biais dans la mesure. J’ai l’impression que ça ne va pas résister très longtemps..."