@Olivier Perriet
Il faut distinguer
les déclarations officielles de ce qui se fait officieusement. Il y’a les
positions de principe et il y’a les arrangements en coulisse, les deux sont
importants mais les deux ne concordent pas toujours, il ne s’agit pas de
mensonges mais de diplomatie d’un coté et de realpolitik fondé sur les rapports
de force de l’autre.
Dans les faits,
Damas
a condamné « résolument » ce qu’il a nommé « l’agression turque
contre la ville d’Afrin ». Assad a même affirmé que l’opération turque
consiste essentiellement à
soutenir le terrorisme et les groupes terroristes. Téhéran s’est joint à
Damas pour réclamer
l’arrêt immédiat des opérations turques. La Russie quant à elle s’est déclarée préoccupée,
a qualifié la réaction d’Ankara d’extrêmement
négative et a appelé les partis opposées à faire preuve de retenue. Ca c’est
officiel.
Officieusement,
il y’a des négociations entre les différentes puissances (Etats unis compris )
pour la répartition des zones d’influence en Syrie et en ce qui concerne Afrin
, les choses se sont déroulées de façon bien plus complexe que ce que vous décrivez :
-Les Kurdes
du YPG ont toujours eu pour objectif de prendre des gages
territoriaux pour mieux négocier avec Damas et se voir accorder une certaine autonomie dans une Syrie qui serait constitutionnellement fédérale. Le régime Baassiste qui
est ultra jacobin ne l’entend pas de cette oreille et veut reprendre
possession de l’ensemble du territoire national et y restaurer son autorité. Il
y’a donc là une divergence d’intérêt et un rapport de force et dans ce cadre , les
Kurdes du YPG avaient besoin de la protection et des armes américaines pour
faire pression sur Damas.
-Dans ce
rapport de force politique entre YPG et regime Baassiste, Moscou sert de
médiateur. Depuis plus de deux ans, ils essaient d’un coté de convaincre le
gouvernement syrien de faire des concessions sur une dose de décentralisation constitutionnelle
et de l’autre de proposer aux Kurdes une large autonomie à condition qu’ils
renoncent à leur alliance avec les Etats unis. Les Kurdes qui ont de bons
contacts avec les Russes (bien plus étroits qu’avec les américains avec
lesquels ils n’ont qu’une alliance tactique froide ) n’avaient pas de désaccords
de principe, seulement , ils ne pouvaient accepter de se désarmer comme l’exigeait
Damas. De plus , la protection américaine servait selon eux à calmer les ardeurs
de la Turquie, mieux que ne le ferait la protection russe.
-Avec la révélation
du projet américain de création d’une force frontalière de 30 000 soldats,
composée majoritairement d’éléments kurdes, une opération militaire turque
était inévitable puisque la Turquie a toujours considéré l’établissement d’un continuum
kurde dans le Rojava comme une menace à sa frontière méridionale remettant en
question son intégrité territoriale. La Turquie
a mis la pression sur la Russie pour qu’elle la
laisse intervenir à Afrin en menaçant
de se retirer du processus d’Astana et de ne pas participer à la
conférence de Sotchi, ce qui aurait saboté toute la politique de Moscou en Syrie.
-Avant que
les Turcs n’interviennent militairement, les Russes ont fait une proposition
aux Kurdes : Moscou a suggéré que l’armée syrienne prenne en charge la
défense de la frontière nord, ce qui
impliquait l’évacuation des miliciens kurdes du YPG et leur remplacement par l’armée régulière syrienne. Ainsi, les prétextes d’invasion
de la Turquie seraient obsolètes, la Russie n’aurait de toute façon jamais
tolérée un affrontement direct entre les armées syrienne et turque. Damas a
évidemment accepté le deal puisque non seulement, le régime aurait reconquis
une région sans combattre mais en plus, il voit
d’un mauvais œil l’émergence d’une présence forte et durable de la
Turquie dans le nord syrien, Damas et Ankara partagant un passé lourd de
disputes territoriales. Les Kurdes ont refusé et ont préféré faire confiance
aux américains, persuadés qu’ils leur viendraient en aide.
-A partir de
ce moment là, les Russes n’avaient pas d’autres choix : ils ont retirés
leurs forces militaires présentes à Afrin, ce qui a permit le lancement de l’offensive turque le
lendemain. Cela avait trois avantages : ménager la Turquie qui est un acteur
indispensable au règlement de la guerre, contrer le projet américain de forces transfrontalières qui seraient d’une façon ou d’une autre dirigée contre Damas et
surtout montrer aux Kurdes et à tous les alliés locaux des américains qui sont
sur le terrain que les Etats unis ne sont pas un allié fiable. Les Kurdes duYPG commencent à comprendre puisque depuis que les Turcs et les américains se
sont entendus pour les évacuer de Manjib, ils ont intensifiés leurs contacts
avec la Russie.
-Malgré ce
retrait russe, le gouvernement syrien a envoyé plusieurs centaines de miliciens
pour venir en aide aux Kurdes à Afrin et les a soutenu en leur apportant une aide humanitaire et logistique. Certes, cela ne constituait pas un
appui militaire significatif mais cette main tendue était une preuve de bonne
volonté et une exhortation à quitter le giron américain puisque les américains,
eux, ne bougeaient pas.
On voit bien
que chaque acteur a ses objectifs et ses stratégies et la Russie dans sa
position de médiateur essaie habilement de concilier le tout, ce qui n’est pas
du tout facile, je ne vois pas ce que De Gaulle ferait à leur place. Surtout
avec une entité déstabilisatrice comme les Etats unis qui fait tout pour briser
les équilibres que la Russie arrive à créer afin de prolonger le conflit. Pour finir,
une précision : les Kurdes du YPG (que j’apprécie beaucoup au passage, ne
serait ce qu’idéologiquement, c’est peut être le seul acteur de ce conflit pour
lequel j’ai de l’affection) ne représentent pas un gouvernement légalement reconnu,
l’aide militaire occidentale qui leur est apporté est illégale quoi qu’on en
dise.