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Commentaire de maQiavel

sur Syrie : « Cette reconstruction sera un témoignage de la recomposition des alliances »


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maQiavel maQiavel 24 août 2018 13:22

@Olivier Perriet

Il faut distinguer les déclarations officielles de ce qui se fait officieusement. Il y’a les positions de principe et il y’a les arrangements en coulisse, les deux sont importants mais les deux ne concordent pas toujours, il ne s’agit pas de mensonges mais de diplomatie d’un coté et de realpolitik fondé sur les rapports de force de l’autre.

Dans les faits, Damas a condamné « résolument » ce qu’il a nommé « l’agression turque contre la ville d’Afrin ». Assad a même affirmé que l’opération turque  consiste essentiellement à soutenir le terrorisme et les groupes terroristes. Téhéran s’est joint à Damas pour réclamer l’arrêt immédiat des opérations turques.  La Russie quant à elle s’est déclarée préoccupée,  a qualifié la réaction d’Ankara d’extrêmement négative et a appelé les partis opposées à faire preuve de retenue. Ca c’est officiel.

Officieusement, il y’a des négociations entre les différentes puissances (Etats unis compris ) pour la répartition des zones d’influence en Syrie et en ce qui concerne Afrin , les choses se sont déroulées de façon bien plus complexe que ce que vous décrivez :

-Les Kurdes du YPG ont toujours eu pour objectif de prendre des gages territoriaux pour mieux négocier avec Damas et se voir  accorder une certaine autonomie dans une Syrie qui serait constitutionnellement fédérale. Le régime Baassiste qui est ultra jacobin ne l’entend pas de cette oreille et veut reprendre possession de l’ensemble du territoire national et y restaurer son autorité. Il y’a donc là une divergence d’intérêt et un rapport de force et dans ce cadre , les Kurdes du YPG avaient besoin de la protection et des armes américaines pour faire pression sur Damas.

-Dans ce rapport de force politique entre YPG et regime Baassiste, Moscou sert de médiateur. Depuis plus de deux ans, ils essaient d’un coté de convaincre le gouvernement syrien de faire des concessions sur une dose de décentralisation constitutionnelle et de l’autre de proposer aux Kurdes une large autonomie à condition qu’ils renoncent à leur alliance avec les Etats unis. Les Kurdes qui ont de bons contacts avec les Russes (bien plus étroits qu’avec les américains avec lesquels ils n’ont qu’une alliance tactique froide ) n’avaient pas de désaccords de principe, seulement , ils ne pouvaient accepter de se désarmer comme l’exigeait Damas. De plus , la protection américaine servait selon eux à calmer les ardeurs de la Turquie, mieux que ne le ferait la protection russe.

-Avec la révélation du projet américain de création d’une force frontalière de 30 000 soldats, composée majoritairement d’éléments kurdes, une opération militaire turque était inévitable puisque la Turquie a toujours considéré l’établissement d’un continuum kurde dans le Rojava comme une menace à sa frontière méridionale remettant en question son intégrité territoriale. La Turquie a mis la pression sur la Russie pour qu’elle la  laisse intervenir à Afrin en menaçant  de se retirer du processus d’Astana et de ne pas participer à la conférence de Sotchi, ce qui aurait saboté toute la politique de Moscou en Syrie.

 -Avant que les Turcs n’interviennent militairement, les Russes ont fait une proposition aux Kurdes : Moscou a suggéré que l’armée syrienne prenne en charge la défense de la frontière nord, ce qui impliquait l’évacuation des miliciens kurdes du YPG et leur remplacement par l’armée  régulière syrienne. Ainsi, les prétextes d’invasion de la Turquie seraient obsolètes, la Russie n’aurait de toute façon jamais tolérée un affrontement direct entre les armées syrienne et turque. Damas a évidemment accepté le deal puisque non seulement, le régime aurait reconquis une région sans combattre mais en plus, il voit  d’un mauvais œil l’émergence d’une présence forte et durable de la Turquie dans le nord syrien, Damas et Ankara partagant un passé lourd de disputes territoriales. Les Kurdes ont refusé et ont préféré faire confiance aux américains, persuadés qu’ils leur viendraient en aide.

-A partir de ce moment là, les Russes n’avaient pas d’autres choix : ils ont retirés leurs forces militaires présentes à Afrin, ce qui a permit  le lancement de l’offensive turque le lendemain. Cela avait trois avantages : ménager la Turquie qui est un acteur indispensable au règlement de la guerre, contrer le projet américain de forces transfrontalières qui seraient d’une façon ou d’une autre dirigée contre Damas et surtout montrer aux Kurdes et à tous les alliés locaux des américains qui sont sur le terrain que les Etats unis ne sont pas un allié fiable. Les Kurdes duYPG commencent à comprendre puisque depuis que les Turcs et les américains se sont entendus pour les évacuer de Manjib, ils ont intensifiés leurs contacts avec la Russie.

-Malgré ce retrait russe, le gouvernement syrien a envoyé plusieurs centaines de miliciens pour venir en aide aux Kurdes à Afrin et les a soutenu en leur apportant une aide humanitaire et logistique. Certes, cela ne constituait pas un appui militaire significatif mais cette main tendue était une preuve de bonne volonté et une exhortation à quitter le giron américain puisque les américains, eux, ne bougeaient pas.  

On voit bien que chaque acteur a ses objectifs et ses stratégies et la Russie dans sa position de médiateur essaie habilement de concilier le tout, ce qui n’est pas du tout facile, je ne vois pas ce que De Gaulle ferait à leur place. Surtout avec une entité déstabilisatrice comme les Etats unis qui fait tout pour briser les équilibres que la Russie arrive à créer afin de prolonger le conflit. Pour finir, une précision : les Kurdes du YPG (que j’apprécie beaucoup au passage, ne serait ce qu’idéologiquement, c’est peut être le seul acteur de ce conflit pour lequel j’ai de l’affection) ne représentent pas un gouvernement légalement reconnu, l’aide militaire occidentale qui leur est apporté est illégale quoi qu’on en dise.


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